L'amendement n° 62 de Mme Jourdan (SOC) à l'article 17 et annexe (précédemment réservé) du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (nouvelle lecture).
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Scrutin public ordinaire
L'amendement n° 62 de Mme Jourdan (SOC) à l'article 17 et annexe (précédemment réservé) du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026 (nouvelle lecture).
Cet amendement du groupe de travail transpartisan sur la santé mentale vise à développer les équipes mobiles.
Cet amendement est issu de la proposition de loi dudit groupe de travail transpartisan disponible sur ce lien : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/dossiers/mesures_urgence_sante_mentale_17e
Il part d’un constat aussi simple qu’alarmant : l’état de santé mentale de la population française connaît une grave détérioration.
En effet, selon les dernières données de Santé publique France de novembre 2023 :
– 7 Français sur 10 déclarent des problèmes de sommeil au cours des 8 derniers jours ;
– Plus de 2 Français sur 10 présentent un état anxieux ;
– 1 Français sur 10 a eu des pensées suicidaires au cours de l’année.
Ces indicateurs sont en nette dégradation, que la comparaison soit réalisée avant, pendant, après l’épidémie de covid-19.
Cette dégradation de l’état de santé mentale est particulièrement forte chez les populations les plus jeunes.
Alors qu’il y a 10 ans, être jeune était un facteur de protection de la dépression, c’est devenu depuis un facteur de risque ; la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du Ministère de la Santé (DREES) parle de « phénomène épidémiologique rare ». En effet, les chiffres interpellent : en 2017, les épisodes dépressifs concernaient 11,7 % des adultes âgés de 18 à 24 ans. 4 ans plus tard, cette proportion a quasi-doublé (20,8 %).
Les indicateurs sont encore plus préoccupants s’agissant des jeunes qui n’ont pas atteint la majorité :
– 13 % des jeunes âgés de 6 à 11 ans présentent un « trouble probable de santé mentale » ;
– 21 % des collégiens et 27 % des lycéens déclarent ressentir un sentiment de solitude ;
– 24 % des lycéens déclarent des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois, et 13 % ont déjà fait une tentative de suicide au cours de leur vie.
Parmi les jeunes, la dégradation de l’état de santé mentale des jeunes filles est particulièrement alarmante : la proportion de jeunes filles âgées de 10 à 19 ans hospitalisées suite à une tentative de suicide a doublé entre 2012 et 2020 puis a de nouveau doublé entre 2020 et 2022.
En parallèle, la dégradation de l’état de santé mentale de la population française touche également le monde du travail.
Ainsi, fin 2023, près d’1 salarié sur 2 serait touché par la détresse psychologique, dont presque 1 sur 5 de manière très élevée. Ce sont ainsi « sept employés sur dix qui associent leurs troubles psychiques au travail, à leur direction générale ou à une charge de travail intenable ». L’épuisement professionnel (burn-out) serait plus particulièrement en train de devenir une véritable épidémie : en France, 2 400 000 personnes seraient ainsi en risque de burn-out sévère. Le harcèlement est également une cause majeure de dégradation de l’état de santé mentale des travailleurs, et en particulier des travailleuses : 1 femme sur 2 a subi du harcèlement sexuel au travail.
Plus largement, les troubles de santé mentale touchent toute la population, et ce tout au long de la vie :
– Entre une personne sur cinq et une personne sur trois est concernée par un trouble psychique au cours de sa vie en France ;
– Plus de 2 millions de Françaises et Français sont pris en charge par les services psychiatriques par an ;
– Les troubles liés à la santé mentale représentent la première source d’arrêt de travail prolongé et 1 motif sur 4 d’invalidité en France.
Face à cette dégradation de l’état de santé mentale, nous ne sommes pas égaux : les personnes se situant dans les premiers déciles de revenus ont entre 1,5 et 3 fois plus de risque de souffrir de dépression, d’anxiété ou de problèmes de santé mentale que les personnes les plus riches.
Cette dégradation de l’état de santé mentale se traduit par un recours accru aux soins, notamment ceux psychiatriques. Comme l’ont constaté nos collègues Mmes Nicole Dubré-Chirat et Sandrine Rousseau, en seulement 4 ans, le nombre de passages aux urgences pour motif psychiatriques a augmenté de plus de 20 %.
La conséquence de cette demande accrue sans offre suffisante est le rallongement des délais nécessaires à l’obtention d’un rendez-vous. Pour une première consultation en Centre médico-psychologique (CMP), ce délai varie entre 2 et 4 mois pour l’adulte, et entre 8 mois et 1 an pour l’infanto-juvénile ; ce qui est excessivement long.
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Ces chiffres alarmants ne sont que le symptôme de la crise plus profonde que connaît notre système de santé mentale.
Cette crise s’explique par une pénurie de personnels alimentée par le manque de reconnaissance et de valorisation des métiers de la santé mentale, une inégale répartition de ces professionnels sur le territoire, un mode historique de financement de la psychiatrie qui a conduit à un sous-financement chronique, etc.
Cette crise a les impacts sanitaires et sociaux décrits supra.
Moins connus sont ses impacts économiques, qui sont pourtant très élevés : le coût total pour la société des troubles liés à la santé mentale était estimé pour l’année 2018 à 163 milliards d’euros, soit environ 5 % de la richesse produite par an en France.
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Derrière les chiffres alarmants cités et cette crise profonde, il y a des personnes qui souffrent, pour qui il est urgent d’agir.
Les acteurs de notre système de santé mentale ont lancé diverses initiatives pour répondre à ces besoins de la population.
Tel est le cas de la feuille de route « Santé mentale et psychiatrie » présentée en juin 2018, qui, depuis le Ségur de la Santé de juillet 2020 et les Assises de la santé mentale et de la psychiatrie de septembre 2021 comportent 50 actions. Ces dernières portent sur des sujets aussi divers que la prévention et le repérage de la souffrance psychique, la coordination des parcours de soins, ou encore l’amélioration de la prise en charge des personnes en situation de handicap psychique. Leur mise en œuvre est suivie par le délégué ministériel à la santé mentale et à la psychiatrie (DMSMP), le professeur Frank Bellivier.
Tel est le cas également du dispositif « VigilanS » qui se propose de maintenir le contact avec l’auteur d’une tentative de suicide ou encore du numéro national de prévention du suicide « 3114 » lancé en octobre 2021, de la feuille de route spécifique à destination de la santé mentale des personnes placées sous main de justice (PPSMJ) ou du dispositif « Mon soutien psy » créé par la loi en 2022, réformé en juin 2024, qui prévoit le remboursement d’un nombre limité de séances (jusqu’à 12) chez le psychologue.
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Toutefois, face à la gravité de la crise, nous estimons qu’une nouvelle étape est nécessaire.
C’est la raison pour laquelle les députées et députés signataires de la proposition de loi mentionné supra ont créé à l’automne 2024 un groupe de travail transpartisan rassemblant des députées et députés issus de plusieurs groupes politiques.
Nous avons en effet la conviction que, sur ce sujet essentiel pour le quotidien des Françaises et Français, il nous faut dépasser les clivages partisans et nous réunir sur l’essentiel : protéger la santé des Françaises et Français.
Depuis l’automne 2024, dans différents espaces de travail, nous avons ainsi auditionné de nombreux acteurs et débattu de priorités à traiter.
Cette proposition de loi est le fruit de ce travail.
Nous avons conscience qu’elle est une première étape, qui nécessitera un texte plus ambitieux.
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Dans le cadre du PLFSS pour 2026, les députées et députés membres du groupe de travail transpartisan portent ensemble leurs propositions.
Cet amendement propose ainsi de développer les équipes mobiles.
Leur développement est en effet essentiel dans la mesure où elles permettent d’aller vers le patient, en proximité, et non pas d’attendre une éventuelle consultation plus tardive, et donc plus grave. Concrètement, nous proposons de garantir que chaque secteur de psychiatrie dispose d’au moins un dispositif d’équipe mobile ; ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nous proposons également que le principe de leur pluriprofessionnalité soit inscrit dans la loi. Enfin, afin de leur éviter de devoir répondre à des appels à projet, les finançant sur des courtes périodes, nous proposons de financer ces équipes par une dotation forfaitaire et populationnelle.
La correcte mise en œuvre de cet article suppose d’associer des moyens financiers suffisants - afin notamment de conserver, fidéliser les professionnels et d’en attirer de nouveaux. Nous appelons dès lors le Gouvernement à mobiliser ces moyens, notamment dans le prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026.
Enfin, le dispositif d’équipes mobiles permet au secteur de mieux définir sa stratégie pour aller vers les publics les plus éloignés des soins. Dans le cadre des projets Territoriaux de Santé Mentale (PTSM), il vient définir la façon la plus adaptée d’aller à la rencontre de publics spécifiques. Par exemple, le rapport de Mme Anne Cécile Violland et de Pascale Martin sur la santé mentale des femmes insiste sur la nécessité de différencier les prises en charge pour les patients de sexe féminin.
Cela est aussi vrai pour de nombreux publics spécifiques comme les agriculteurs, les enfants protégés, les détenus, les personnes âgées, les migrants, etc.
Afin de répondre aux situations de saturation des services d’urgence psychiatrique et de garantir une prise en charge rapide des patients, des cellules mobiles d’intervention et de crise pourront également être mises en place dans les territoires identifiés comme prioritaires. Ces cellules, composées d’équipes pluriprofessionnelles comprenant notamment des psychiatres, psychologues, infirmiers spécialisés et travailleurs sociaux, pourront intervenir directement sur site ou à domicile pour assurer une évaluation clinique et proposer une orientation adaptée.
Ces cellules mobiles d’intervention et de crise pourront fonctionner en lien avec les services d’urgence, les centres hospitaliers et les structures de soins ambulatoires, et sont coordonnées avec les dispositifs de régulation médicale. Leur action visera notamment à limiter les hospitalisations non nécessaires, à favoriser une prise en charge en milieu ouvert et à fluidifier les parcours de soins des patients en situation de crise psychiatrique. Ces équipes mobiles pourront notamment intervenir prioritairement dans les zones rurales, et les quartiers dits « politique de la ville ».